Les raisons d’être se suivent mais ne se valent pas

Depuis la promulgation de la loi Pacte, la notion d’entreprise à mission occupe une place croissante dans les réflexions portant sur le management, le marketing ou la stratégie d’entreprise. Mais plus les années passent et plus la confusion semble régner autour de cette question de la raison d’être. Engagements RSE, listes de valeurs déconnectées et phrases creuses défilent sous nos yeux sans fournir le début d’une explication sur la motivation fondamentale des entreprises qui croient nous avoir convaincus de leur envie de faire le bien autour d’elles.

Disons-le tout de go : la vaste majorité des entreprises sur Terre n’ont pas été créées pour faire le bien. Si elles répondent toutes à un besoin, elles sont, pour la plupart, assujetties avant tout aux tropismes de la croissance et du profit. Qu’il s’agisse de faire face à la concurrence, d’atteindre la taille critique sur son marché ou plus prosaïquement de faire croître les bénéfices et donc sa propre rémunération, les motivations sont nombreuses qui nous poussent à garder l’œil rivé sur les indicateurs de performance. Des motivations qui se trouvent décuplées dès lors que l’on fait appel à l’épargne publique.

Dans ce contexte, la plupart des entreprises sont bien embarrassées lorsqu’on leur demande de se trouver une raison d’être. Le fait est qu’elles n’ont pas attendu la loi Pacte pour “être”. Et que la raison de leur existence leur semblait plutôt claire jusqu’ici. Mais soudain, voici que leurs collaborateurs cherchent un sens à leur quotidien. Que les consommateurs affirment de plus en plus fort avoir soif d’autre chose. Et que, pour parachever le tout, le législateur décide de s’en mêler.

Ne pas avoir de mission en 2023, c’est un peu comme ne pas avoir de site Internet il y a un quart de siècle.

Face à cette triple exigence, les missions fleurissent de toute part. Le CAC 40, qui, a priori, n’est pas l’endroit où l’on s’attendrait à trouver des parangons de vertu, mène presque la danse avec plus de 80 % de ses membres qui affichent une raison d’être parlant d’autre chose que de profits. À 46 %, le SMB 120 est à la traîne mais affiche néanmoins sa volonté de rentrer de plain-pied dans l’ère de l’entreprise à mission. On observe également un nombre important de PME et d’ETI qui, si elles n’affichent pas toutes leur raison d’être, s’interrogent a minima sur la démarche à suivre. Bref, ne pas avoir de mission en 2023, c’est un peu comme ne pas avoir de site Internet il y a un quart de siècle.

Les missions, c’est comme l’inspiration. Ça ne se trouve que rarement sous la contrainte.

Sauf que, comme on pouvait s’en douter, toutes ces missions ne se valent pas. Loin de là. On pourrait même aller jusqu’à dire, au risque d’en offenser certains mais sans grand risque de se tromper, que la plupart des missions ne valent pas grand chose. Rien de très surprenant à cela puisque, le plus souvent, il s’agit de répondre à une demande exogène assimilée d’abord et avant tout à une contrainte.

Ils veulent des missions ? Ils veulent autre chose que notre EBITDA ou que le cours de l’action ? Ils veulent du sens ? Et bien nous allons leur en donner ! C’est ainsi que raisonnent au fond une bonne partie des entreprises qui finissent par accoucher de grandes phrases qui n’engagent à rien ou presque. Des phrases qui ne disent pas grand chose de nouveau et qui seront suivies d’aussi peu d’effets contraignants que possible (85 % des raisons d’être des entreprises du CAC40 sont purement déclaratives). L’objectif premier étant bien entendu de ne pas rester sec lorsque le sujet de sa mission est mis sur la table. Et de pouvoir s’appuyer sur les grandes et belles idées qu’elle véhicule pour nourrir des campagnes de communication qui montreront à quel point on a compris et à quel point on a changé.

C’est ainsi qu’on se retrouve noyés dans un magma de raisons d’être qui, à défaut d’avoir un impact positif sur le monde et sur les performances de nos entreprises, ont surtout pour effet de brouiller les cartes et de mettre à mal le capital confiance dont celles-ci disposaient encore. Si certains collectifs sortent du lot avec des missions inspirantes et sincères, force est de constater que la majorité des entreprises ne trouve rien d’autre à nous servir que des visions insipides ou qui n’ont pas grand chose à voir avec ce qu’on attend d’elles.

Carbon neutral by 2030

Pour être en mesure de séparer le bon grain de l’ivraie, il est utile, dans un premier temps, de faire un petit tour d’horizon des missions qui n’en sont pas. À commencer par toutes celles qui confondent allègrement les responsabilités sociétales de l’entreprise et sa raison d’être. Et qui nous affirment avec aplomb qu’il s’agit d’accélérer la transition écologique, d’atteindre la neutralité carbone en 2030 ou de travailler à un monde plus juste et plus inclusif. Malheureusement, dans la plupart des cas, toutes ces bonnes intentions relèvent au mieux de RSE quand il ne s’agit pas tout simplement de philanthropie. À moins de vous appeler Green Got ou Ben & Jerry’s — et encore c’est tout à fait discutable pour cette dernière —, vous n’avez pas créé votre collectif pour protéger le climat ou faire reculer les discriminations en tout genre.
Il y a toutes les raisons de penser que les océans et les abeilles se remettraient, eux, très bien de votre disparition.

Votre raison d’être doit être intimement liée à ce que vous apportez à vos clients en particulier et à vos parties prenantes en général. À ce qui viendrait à manquer si vous n’étiez plus. Or, il y a toutes les raisons de penser que les océans et les abeilles se remettraient, eux, très bien de votre disparition. Et à moins que votre métier impacte directement des personnes souffrant de discrimination ou d’exclusion, comme Dove a fini par le réaliser, n’allez pas imaginer non plus que votre mission consiste à défendre la cause des femmes ou des afro-américains. Car le fait est que ce n’est pas sur ce terrain-là que vous êtes attendus.

Leader sur notre marché

À l’opposé, on trouve encore un nombre important d’entreprises qui se donnent des missions égocentrées qui ne parlent le plus souvent qu’à leurs dirigeants et leurs actionnaires. En affirmant par exemple que leur mission est de devenir le leader européen sur leur secteur. Un objectif commercial et stratégique qui se défend sans doute en comité de direction mais qui ne constitue en aucun cas une mission inspirante pour les clients ou même pour les salariés qui sont de plus en plus à penser que big is not so beautiful after all.

On trouve également dans cette catégorie des raisons d’être d’un pragmatisme désarmant comme celle de Total Énergies qui écrit en grosses lettres sur son site : “Notre mission : servir la demande mondiale en produits pétroliers”. Ce type de missions, si elles ont le mérite d’être claires et sincères — ce qui, soit dit en passant, n’est déjà pas rien —, passent totalement à côté de l’objectif premier d’une raison d’être, à savoir inspirer celles et ceux qui seront appelés à faire affaire avec vous. Ce n’est pas en décrivant platement ce que vous faites que vous y parviendrez, surtout lorsqu’il s’agit d’une activité qui entre en contradiction frontale avec les aspirations de la majorité.

Le syndrôme de la liste à puces

On ne pouvait pas conclure le tour des pas si bonnes pratiques sans parler des valeurs. Ces fameuses valeurs que 99 % des entreprises nous présentent soit sous forme d’une liste à puces sur leur site corporate, soit sous la forme d’une longue liste de mots clés séparés par des virgules dans l’énoncé de leur mission. Des listes qui sont d’autant plus faciles à formuler qu’elles ne produisent pas de sens contrairement à des phrases mûrement réfléchies ou à des manifestes. Et qu’elles ne font qu’amalgamer des concepts tous aussi abstraits et galvaudés les uns que les autres.

On n’hésite d’autant moins à lâcher de grands mots (courage, transparence, intégrité, inclusivité, esprit d’équipe) qu’il n’y a aucun moyen de vérifier ce que cela veut dire concrètement et qu’il s’agit, le plus souvent, d’exigences élémentaires vis-à-vis d’une entreprise ou d’une collectivité (qui serait tenté par l’idée de s’associer avec un collectif ne respectant pas la loi, aux pratiques opaques ou n’ayant pas le courage de ses opinions ?).

Cela ne veut pas dire pour autant qu’on ne peut pas avoir des valeurs ou qu’il est interdit de les lister. Mais il faut alors prendre soin de les expliciter et de montrer à quel point il s’agit de principes qui vous sont chers et que vous avez chevillés au corps. À quel point, elles traduisent l’état d’esprit de vos équipes, la culture de votre collectif. Si vous aimeriez voir ce que cela peut donner, il n’y a qu’à jeter un coup d’œil au site de The Browser Company, une startup qui cherche à disrupter le marché des navigateurs web.

Même professée ainsi, une liste de valeurs ne vaut pas raison d’être et ne vous dispense nullement de formuler une mission capable de donner du sens et de la cohérence à l’ensemble.

Dites-leur tout simplement en quoi vous croyez. En quoi vous croyez vraiment.

Rien d’insurmontable en soi. Il suffit pour cela d’envisager la question de votre mission sur Terre non plus sous l’angle d’un exercice abstrait qui vous serait imposé, un peu comme une dissertation lors du Bac de français, mais bien comme une opportunité. Une opportunité extraordinaire de donner un nouvel élan à votre collectif et à votre marque en faisant émerger le sens profond de votre action, puis en lui donnant corps, jour après jour, année après année.

Au lieu de vous demander comment répondre à une demande provenant de l’extérieur en disruptant le moins possible l’existant, comprenez qu’il s’agit avant tout de faire quelque chose pour vous et pour vos équipes en exprimant vos convictions puis en les laissant agir au quotidien. Et que les changements induits par l’adoption d’une mission porteuse de sens doivent toujours être vus comme étant de bonne augure même lorsqu’il vous en coûte à court terme.

Car une vraie raison d’être est une raison motrice. Une dynamo qui accélèrera certaines transformations et qui vous propulsera sur une trajectoire plus positive et plus singulière. Une trajectoire dans laquelle vous vous reconnaîtrez avec fierté et qui exercera une puissante force d’attraction sur les talents, les clients, les investisseurs et sur la société dans son ensemble. Si l’aventure vous tente, on est là pour en discuter avec vous.

Avant d’enseigner à Harvard et d’écrire un bestseller sur l’art de manager, Hubert Joly s’est fait connaître en redressant Best Buy, le géant américain des produits de consommation électronique. Un fait d’armes qu’il n’aurait jamais réussi sans l’aide de conseillers avisés : c’est en lui expliquant leur métier et en lui racontant ce que cela donnait lorsqu’ils avaient l’opportunité de se montrer sous leur meilleur jour que des dizaines de milliers de salariés lui ont montré la voie.
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